Cela fait tellement mal qu'on n'a pas envie d'y aller...
Julie se prépare à un nouveau séjour au Corps Mémoire. Elle m’écrit : « ...c'est cela qui m'a un peu bloquée dans ma venue chez vous et, pour tout vous dire (mais vous le savez d'ores et déjà), c'est que ça fait tellement mal qu'on n'a pas envie d'y aller... ». Dans ce cas, ce n'est pas spécifiquement de douleur physique dont elle parle ici.
Vous avez raison Julie,
Cela fait tellement mal qu'on n'a pas envie d'y aller.
On peut attendre alors d'être convaincu(e) de l'absolue nécessité de ce travail , avec le risque de reporter le rendez-vous jusqu'à ce que la douleur vienne nous rattraper dans la vie quotidienne mais ce n'est pas la seule stratégie et voici pourquoi :
Une partie de la douleur vient de ce que nous sommes identifiés à la douleur qui survient. « C'est moi qui ai mal ». Avec tout son cortège de « je ne peux pas vivre ça », « pourquoi moi ? » etc. Le moi dit NON, j'ai mal mais je ne devrais pas avoir mal. Et cela ajoute une douleur à la première que l'on appelle la souffrance, cette idée que cela ne devrait pas être.
Bien-entendu, il ne s'agit pas simplement d'en parler ni de l'écrire. Il s'agit de faire un premier pas et les suivants jusqu'à ce que la pratique nous montre que « nous pouvons vivre la douleur sans douleur ». C'est à dire aborder ces vécus non pas comme « j'ai mal et c'est insupportable », ce qui est vrai, mais comme « la douleur vient à moi (la mienne ou une autre) et je la laisse s'exprimer à travers mon corps », je lui prête mon corps afin qu'elle puisse avoir sa complète expression et s'en aller, enfin reconnue et n'ayant plus besoin de réclamer sa reconnaissance.
La douleur, d'où qu'elle vienne dans le passé, demande à être reconnue et si on la refuse, elle insiste, elle s'infiltre dans notre vie et elle persiste. Le problème est qu'elle ne sait pas parler, elle n'a pas les mots pour s'adresser au rationnel. Sa seule manière de s'exprimer, de vous faire comprendre sa douleur -car vous pouvez considérer que c'est la douleur qui a mal, ce n'est pas vous- c'est de vous faire sentir combien elle a mal. C'est ce qu'elle vous montre, comme si elle disait : « Je vais te montrer combien ça fait mal ». Et vous accueillez sa douleur dans votre corps afin de la comprendre de l'intérieur et de la soulager, comme une mère consolerait son enfant.
Vous êtes apte à cela. Vous l'avez déjà vécu mais peut-être sans bien le comprendre.
Tant que vous serez attachée à être vous-même, cette entité que vous croyez être, vous aurez mal. Et c'est la plus grande leçon de ce travail. Au-delà d'un mieux-être tout à fait appréciable (mais pas toujours instantané, cela dépend du nombre d'épisodes de la série, sans compter les saisons !), au-delà de ce mieux-être, c'est la libération de ce qui nous attache à l'ego qui se produit. Une sorte de passage obligé. Vous ne pouvez pas vous libérer de la douleur sans vous laisser traverser par elle. En vous laissant traverser, en accueillant, vous devenez plus vaste que cette petite personne et vous rejoignez le monde. Vous quittez le monde dans lequel vous vivez pour rejoindre progressivement le monde. Effectivement la paresse doit céder la place à l'action.
Je suis heureux que vous ayez pris cette décision, ou plutôt qu'elle se prenne à l'intérieur de vous.
De tout cœur,
Francis
Extraits d'un ouvrage de Denise Desjardins à propos du lying
Pour compléter cette réponse, je poursuis pour vous, lecteur, avec quelques passages d’un ouvrage de Denise Desjardins¹ à propos du lying* :
« Après avoir suscité larmes et cris , souffrance ou bouillonnement de révolte et après en avoir ,en somme, épuisé l’horreur, quelque chose de nouveau se produit où a disparu le refus de plonger dans l’évènement douloureux. Lequel du coup est revécu en pleine conscience. On goûte alors cette situation dans son intégralité, de façon lucide, délibérée »
[...] « Dans le lying, si l’impact émotionnel a été suffisamment usé, puis aboli, l’esprit s’éclaircit. Il devient alors possible, du fait qu’à été évacué l’obscurcissement dû à l’émotion liée au souvenir, d’appréhender d’un œil impartial la situation passée qui a provoqué tant de souffrances, comme un événement entre autres évènements, un fait tel qu’il est, au-delà de l’agréable et du désagréable : neutre. »
[…] « D’avoir été répétitivement exprimée, l’horreur s’est donc érodée pour donner jour peu à peu à une vision plus objective qui -fait nouveau- va favoriser la réconciliation avec celui ou celle qui a provoqué cette blessure particulièrement durable. La souffrance ayant disparu, on peut en considérer le responsable comme non « responsable », emporté comme il l’a été par son émotion excessive, sa propre souffrance qui l’empêchait de voir celle qu’il infligeait à son enfant […]. Du Non au Oui, du ressentiment à l’acceptation neutre. Oui ce fut ainsi. Oui […] il n’a pu en être autrement. »
[…] « De la mécanicité à la lucidité, tel est le chemin déclenché et commencé par l’introspection du lying qui permet de se connaître, d’« être », puis d’être capable d’agir. À nous maintenant de continuer sur la lancée.
« Là où il y a manque de connaissance, il y a agitation, douleur, chagrin, déplaisir, colère, etc. Le seul moyen est de vous connaître. En essayant de vous connaître, vous ne devez avoir aucune culpabilité, honte, timidité, hésitation, etc., rien ne purifie autant que la connaissance². »
Telles sont les paroles de Swâmi Prajnânpad. »
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*« Lying » veut tout simplement dire allongé. En ces circonstances, il désigne le travail de plongée dans l’inconscient que Swâmi Pranânpad proposait si besoin à certains de ses disciples. Ce terme continue d’être utilisé actuellement dans ce sens et uniquement dans une visée spirituelle rattachée à Hauteville, l’ashram fondé par Arnaud Desjardins. Je ne suis pas habilité à proposer des lyings mais j’ai effectué pour moi-même ce travail sous la direction bienveillante d’Olivier Humbert, qui a eu l’occasion de dire que ce travail avait des aspects pénibles, autrement dit, qu’il valait qu’on s’en donne la peine !
Ne pratiquant pas le lying, je propose néanmoins un travail qui permet de se réconcilier en profondeur avec ce qui est et tout d’abord avec ce qui a été. Je note des différences vis à vis de la pratique qu’a exercé Denise Desjardins telle qu’elle la présente ici. Pour elle l’érosion du jeu des émotions vient de la répétition. Effectivement, il s’agit d’approcher le cœur de l’émotion. « Le but du lying est l’émotion pure » disait Olivier Humbert. Et cette approche peut se faire en spirale, induisant une forme de répétition. J’ajoute deux choses. La première est l’attention aux sensations purement corporelles. Cette attention et son maintien en direction des sensations rend l’expression beaucoup moins pénible, elle est d’emblée plus neutre. Olivier Humbert s’était d’ailleurs intéressé et formé à Tipi en son temps.
La seconde est le prolongement. Ce terme a été mis à jour par Frans Veldman le créateur de l’haptonomie. La plupart des gens ne savent pas s’orienter dans ce travail. Il y a donc un bref apprentissage nécessaire et donné par l’expérience pour saisir le sens de l’intention à avoir : Dans la douleur, la tendance naturelle est de se rétracter. Le prolongement c’est l’inverse, c’est aller à la rencontre. De quoi ? De sa douleur. À nouveau on saisit l’aspect pénible mais l’expérimenter est aussi l’occasion de découvrir et d’intégrer le caractère tout à fait libérateur de ce travail. Vivre l’émotion en continuant à refuser la douleur qui en est à l’origine demande effectivement de nombreuses répétitions pour une érosion progressive. En se donnant, en se livrant totalement à ce travail dans une perspective spirituelle, cette érosion adviendra, accompagnée d’un sentiment de réunification : Je rejoins ce dont je m’étais séparé. En adjoignant ces deux ingrédients, attention aux sensations et sens du prolongement nous allégerons le caractère pénible de ce travail.
Dernière note, nombreux sont ceux et encore plus celles qui viennent vers moi pour obtenir une aide, être accompagné(e)s vers un mieux-être. C’est un premier pas. Beaucoup moins nombreux sont celles et ceux qui poursuivent au-delà vers un véritable chemin de connaissance de soi. J’espère qu’à travers les textes présentés dans la lettre du Corps Mémoire vous comprendrez plus intimement de quoi il s’agit.
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1. Denise Desjardins, Le Lying, passerelle au cœur de soi. (La Table Ronde). Illustration : Miniature du 14ème siècle. Guérison d'une jeune fille névrosée dont un médecin soufi découvre le mal en l'interrogeant
2. Daniel Roumanoff, ABC d’une sagesse (La Table Ronde)