Aimer le mental - Prolongement, deuil et attachement
La plupart du temps dans les écoles de psychothérapie ou les écoles spirituelles, le mental est un mal aimé. C'est celui qui nous éloigne de l'être...
On ne voit pas à l'inverse, qu'il s'agit d'une faculté. La faculté d'échapper à soi. C'est une faculté à notre disposition qu'il est nécessaire de reconnaître. J'ai cet outil à ma disposition = je peux m'échapper. Et je peux remercier cet outil d'autant plus qu'il donne aussi des résultats dans la création et les productions concrètes, les objets qui nous entourent et les théories qui nous servent à appréhender le monde.
Bien. Je remercie cet outil qui me sert à m'échapper quand j'en ai besoin. Cet outil qui me sert à me prolonger dans le temps et dans l'espace, à travers le stylo qui écrit, la parole qui se transmet, les jumelles pour voir plus loin, le téléphone, internet qui me permettent de communiquer, de m'informer, de partager. Le mental est un outil à travers lequel je me prolonge.
Si je ne reconnaît pas cette capacité qu'il me donne, y compris à m'abstraire, j'aurai plus de mal à saisir la capacité inverse qui est de revenir à moi-même, revenir au présent. Ah super ! Je peux me sauver. Alors d'accord, je sais que j'ai cette possibilité, maintenant voyons ce qui se passe si j'utilise la capacité inverse.
Hé bien, cette capacité de se prolonger existe aussi sans le mental ! Plutôt que de vivre dans le monde de mes représentations, je peux vivre dans le monde tel qu'il se présente. Je peux nager sans bouée, je peux faire du vélo sans les petites roues, je peux marcher sans béquille.
Ce prolongement n'est pas remarqué en tant que faculté naturelle spontanée. Par contre, on peut remarquer plus facilement l'inverse : quand je me sens vulnérable, je peux remarquer que je me retire de la présence, de la sensation. Si une douleur survient, les muscles se crispent, le corps se fige, la respiration se bloque...
Bien. Faites l'expérience de parcourir le chemin inverse, de revenir à la présence, à la sensation qui se vivaient, plus ou moins, sans être remarquées.
Ce prolongement, c'est aussi une manière de tisser des liens. Des liens sociaux, affectifs, amoureux. Je me prolonge en l'autre, je m'investis (dans une relation).
Quand il y a séparation (brutale éventuellement), une partie de ce que j'avais mis dans l'autre (exemple : j'avais mis ma confiance en l'autre) est perdue. Pour reprendre cet exemple, j'avais misé sur lui, j'avais placé ma confiance en lui.
Eh bien, quand l'autre s'en va, je perds ce que j'avais placé en lui, d'une certaine manière du fait de ce prolongement. Ça s'en va avec lui et ça me manque. A deux, nous formions une totalité, j'étais entièrement moi. Il est parti, je suis amputé(e).
Tous ces termes peuvent être interprétés bien entendu dans une théorie ou une autre. Mais, on peut aussi faire quelque chose de beaucoup plus simple. Plutôt que de croire que j'ai perdu une partie symbolique , le mieux serait de discerner cette faculté de prolongement, cette faculté de tisser des liens réels et non pas symboliques. La rupture de ces liens apporte une souffrance - non pas psychique, mais "physique" parce que ce lien, même s'il n'est pas visible, n'en est pas pour autant immatériel.
Notre faculté de nous prolonger nous mène à connaître la souffrance. Mais c'est aussi notre manière d'explorer le monde. Nous en priver nous fait aussi souffrir.
Dans cette faculté de se prolonger, il y a une réponse qui est attendue, une forme de réciprocité. Dans le monde des intentions, c'est tout naturel. Mais dans le monde de l'incarnation, c'est tout à fait différent. Les êtres incarnés qui nous voient naître, autrement dit nos parents, ont vécu eux aussi cette souffrance d'avoir à se nier eux-mêmes et sont devenus pour partie incapables de répondre au prolongement, à la tentative de communication spontanée que l'on pourrait appeler "l'être ensemble".
Pour partie, ils se sont murés dans leurs peurs et sont incapables d'être présents dans leurs zones d'ombre où, ne pouvant les attendre plus longtemps, nous cessons de nous prolonger, plongeant du même coup des zones de nous-mêmes dans l'ombre.
Il y a donc une possibilité pour ceux qui cherchent de restaurer cette faculté pour reprendre pied sur l'ensemble du territoire de la conscience : ouverture et présence à ses propres sentiments, à sa profondeur, capacité d'empathie vis à vis du passé et du futur, c'est à dire prolongement dans les désirs qui nous ont donné naissance, dans les histoires auxquelles nous nous sommes attachés, mais aussi dans les conséquences de nos actes et dans les décisions à prendre en fonction de la connaissance des possibilités contenues dès à présent dans le futur.
Et puis, il y a un autre lien à l'attachement. Celui-ci est contenu dans la physiologie. Encore une fois, nous ne sommes plus dans le symbolique, et c'est important car se situer dans le symbolique en appelle à une réparation symbolique, qui si elle ne se réalise pas frustre la personne qui fait pourtant tout ce qu'elle peut pour suivre les "bons" conseils qu'on lui donne, du genre : "il faut couper le cordon", "écrivez ce qui vous attache sur un papier que vous jetterez au feu purificateur" etc.
Si l'on prend "attachement" au pied de la lettre (et non pas au pied du lit) et que l'on considère l'embryogenèse, il arrive que cette impression "je suis complet quand nous sommes deux" soit tout simplement l'expression d'une réalité physiologie passée, celle de cellules embryonnaires dont une partie a disparu en laissant à l'autre des sensations désagréables de durcissement, arrachement d'une partie de soi-même, mise en danger de la totalité (impression de mourir), avant finalement de redevenir un tout, une entité complète. Je ne parle pas ici par hypothèse, mais à partir des re-vécus de sensations dont il m'a été donné de suivre le déroulé en séance d'accompagnement.
Simplement une réalité vécue très précocement qui revient à la surface de la conscience à partir des sensations corporelles pénibles qui se manifestent lors de situations de la vie actuelle perçues comme similaires : une séparation, une perte (un être cher, un emploi, une certaine forme de sécurité...).
En sortant du symbolique, on restaure à la personne la possibilité de vivre la réalité de cette souffrance. Parce que ça fait vraiment mal. Et cela fera mal tant que je voudrai éviter cette douleur, tant que je replierai les antennes de mon prolongement à l'intérieur de moi-même.
Cela me rappelle [V] qui tout d'un coup en séance s'écrie : "Ho, mais c'est là que j'habite ! (dans ce corps).
- Mais où étais-tu avant ? - Je ne sais pas... Là, dans ma tête, je crois. Je vivais dans ma tête".