Guérir l'ego ou guérir de l'ego ?
La première fois que j’ai rencontré Olivier Humbert, j’ai soutenu qu’il y avait continuité entre psychothérapie et quête spirituelle. Il m’a répondu : « Pas du tout ! Cela n’a rien à voir. La psychothérapie c’est guérir l’ego, la spiritualité, c’est guérir de l’ego ».
Il avait raison bien-sûr mais j’ai maintenu mon point de vue d’une manière que je pourrais qualifier maintenant d’effrontée... La définition qu’il m’avait proposée est tout à fait remarquable, simple et juste. De même qu’il n’y a aucun rapport entre la vie utérine et la vie aérienne -cela n’a rien à voir- de même il suffit de naître pour passer de l’une à l’autre. Il y a donc bien pour moi continuité. Continuité de notre projet de vie, de notre transport amoureux. Il n’y a qu’un seuil, un passage, une étroiture à franchir. Un avant et un après, réunis à chaque instant dans le présent.
Et toute cette vie utérine qui va de la conception à la naissance (quand elle a lieu) est une épopée remplie d’embûches pour certains, et structurée comme la vie que nous aurons à vivre et que nous vivons déjà.
Dans cette épopée, le héros que nous sommes va à la rencontre des désirs et des peurs de ses deux parents. Il s’attache à résoudre au mieux l’équation parfois complexe des mémoires de chacun et il continuera à porter par la suite les solutions qu’il a trouvées et les équations qu’il n’a pas résolues.
« Être libre, c’est être libre du père et de la mère » disait Swâmi Prajnânpad. C’est être libre aussi de leurs intentions et de leurs peurs.
Il se trouve que dans cette traversée, notre héros pourra être confronté à la mort, ouverture sur la vie spirituelle et l’expérience de l’unité, avant même d’être confronté au grand passage de la naissance dans lequel il devra tout abandonner. Restera une nostalgie, source de sa quête ultérieure d’accomplissement.
Toutefois, dans le début de la rencontre avec l’accompagnant, c’est bien naturellement le désir de guérir l’ego qui prime. Les uns et les autres vivent des situations qui les confrontent au mal-être, à la douleur et qui remettent en question leur relation au monde. Chacun désire en sortir, finir par aller mieux, trouver une astuce, une recette, une méthode qui le soulagerait. Et il y en a quelques unes qui, jusqu’à un certain point, fonctionnent. Pourquoi s’en priver ? Vous aviez peur des araignées, vous n’avez plus peur des araignées, la vie est belle. Vous pouvez penser que vous êtes venu(e) à bout de cette peur grâce à vos efforts opiniâtres et, au passage, renforcer cet ego qui ne manque pas de s’attribuer les mérites de votre spectaculaire réussite.
Mais voilà bien le problème : vous ne pouvez pas venir à bout de votre passé, vous ne pouvez pas le transformer pour faire en sorte qu’il n’ait pas eu lieu ou qu’il se soit déroulé d’une manière moins douloureuse. Vous ne pouvez pas maintenir cette séparation entre vous et ce qui vous a fait mal, ce qui vous a manqué, ce qui était trop lourd à porter ou qui a failli vous détruire.
On retrouve ici la définition, par Olivier Humbert encore une fois, de l’ego : l’ego c’est le sens de la séparation. Autrement dit, à chaque fois qu’il y a « moi et ma douleur », cela fait deux et deux que j’essaie de séparer, de maintenir à distance.
Arrivé(e) à ce point, vous ne pouvez pas vouloir changer, vous sentir mieux, tout en restant le ou la même, c’est à dire séparé(e) et continuant à maintenir l’idée que cela aurait dû, aurait pu se passer autrement ou que avec de l’entraînement et une meilleure préparation vous auriez pu venir à bout des événements.
La voie à suivre à ce niveau consiste au contraire à réduire la distance qui vous sépare, à la réduire à ce point qu’elle devienne nulle et que plus rien ne vous sépare. En un mot faire corps avec.
Sinon, c’est le burn-out dont une composante, en dehors des aspects professionnels, est l’acharnement inconscient à venir à bout de quelque chose que l’on ne peut pas changer, c’est à dire ici le passé.
Et donc, faire corps avec, c’est ce que l’on apprend en séjour ou en retraite au Corps Mémoire, pourvu que l’on soit d’accord pour laisser tomber quelques idées qui nous disent que « j’aurais pu y arriver si seulement... » et que l’on accepte de démonter petit à petit l’échafaudage mental qui était sensé nous protéger des traumas bien réels auxquels nous avons dû faire face tant bien que mal.
Voyez qu’il n’y a pas loin de « faire corps avec » à « être un avec » qui est l’essence de la pratique qui anime le cheminement du disciple sur la voie spirituelle proposée par Arnaud Desjardins à la suite de Swâmi Prajnânpad.
On ne peut pas terminer une psychothérapie, sauf à ne pas l’avoir commencée, sans accepter le passé tel qu’il a été et pour ce faire sans laisser se dissoudre progressivement cet ego qui s’interpose entre moi, cette condensation du monde au sein du monde, et la réalité. Et c’est aussi le début si on le souhaite d’un cheminement que l’on pourra appeler spirituel.
C’est à cela que je vous invite. Avec cette lettre, nous inaugurons la deuxième saison des lettres du Corps Mémoire. Les lettres précédentes restent à votre disposition et peuvent vous accompagner mais les prochaines lettres apporteront plutôt des extraits de lecture accompagnées ou non de quelques commentaires.
Tenez-vous prêts et prêtes. Vous ne pourrez pas indéfiniment réclamer votre part de mieux-être. À un moment il vous faudra quitter les espoirs vains, les rancœurs, les illusions, les reproches pour prendre votre destin en main. Ce n’est pas toujours facile parce que cela vous donne l’impression de quitter, voire d’abandonner, cet enfant qui s’est senti si seul, si peu reconnu, si peu aimé et tellement maltraité. Comme si à votre tour vous deveniez le parent insuffisant ou maltraitant.
Hé bien oui, il y a quelque chose à quitter de cette enfance malheureuse que vous ne pourrez pas réparer. Il faut vous rendre à l’évidence. C’est là le point de passage, le point étroit, la nouvelle naissance qui nous fait quitter la psychothérapie pour un cheminement adulte et éventuellement spirituel.
Et bien-entendu, si c’est là qu’est votre désir, je serai présent pour vous accompagner humblement car il s’agit d’une épreuve terriblement douloureuse qu’il est difficile de franchir dans l’absolue solitude.
Francis Lemaire
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Olivier Humbert était l’un des collaborateurs d’Arnaud Desjardins. Il a accompagné en lying pendant de nombreuses années des personnes en quête de connaissance de soi et s’inscrivant dans une démarche spirituelle. C’est à cette occasion que je l’ai rencontré. Il a participé à l’écriture de l’ouvrage «Swâmi Prajnânpad et les lyings» dont voici un extrait :
« Le paradoxe est que le lying fait partie d'une voie qui met en avant l'acceptation mais que le chercheur a le plus souvent pour demande de changer en lui ce qui lui déplaît. Ceci peut l'entraîner à tourner le dos à la nécessité de s'accepter tel qu'il est. Pourtant, tous les problèmes psychologiques peuvent se ramener à un seul désir impossible: celui d'être autre que ce qu'on est. Garder à l'esprit cette nécessité d'en arriver à s'accepter soi-même et de faire confiance pour le reste à la vie, qui se charge de nous quoi qu'on en pense, est donc important pour ne pas s'engager dans la poursuite interminable d'un idéal d'homme ou de vie sans émotions ni douleurs.»