Le Corps Mémoire

Centre de ressourcement et de connaissance de soi

Qu’est-ce que je fais quand je fais ce que je fais ?

Nous sommes infestés de méthodes miracles que l'on nous vend plus ou moins cher au prix de notre naïveté toujours déçue. Alors, à une époque, moi aussi j'ai souhaité vous présenter ma méthode miracle et ce, totalement gratuitement, vous pouvez même la diffuser (en me citant malgré tout !). Et le mieux, c'est que je peux l'appliquer à tout. Par exemple, qu'est-ce que je fais quand je vous offre (malicieusement) une méthode miracle ? Si je regarde bien, je me plains de vivre dans un monde où des individus, supérieurs en nombre, ont plus de succès en vendant des attrapes-nigauds à des personnes qui ont soif de moins souffrir sans faire d'effort que moi en écrivant des choses très intéressantes et très intelligentes que personne ne lit ni ne comprend ! Que ceux qui ont lu et compris protestent ;-). Reste une question : est-ce que je voudrais vraiment être un autre que celui que je suis ? Probablement non. Alors, je peux cesser de me plaindre. Mais c'est un peu triste quand-même, j'aimais bien me plaindre !

Voici donc, comme promis, ma méthode miracle qui tient en une question : Qu’est-ce que je fais quand je fais ce que je fais ?

Ferdinand Du Puigaudeau - Ombres chinoises, le lapin

Qu’est-ce que je fais quand je fais ce que je fais ?

1) Prendre une situation relationnelle dans laquelle se manifeste une émotion, même légère.

2) Raconter et dire ce que je fais précisément et factuellement. Par exemple : je lui téléphone, je lui réponds ça, je vais me coucher, je boude etc. Tout ce que vous faites dans cette situation précise.

3) Répondre à la question : Qu'est-ce que je fais quand... (je lui réponds ça, par exemple) ? C'est à dire, qu'est-ce que je lui dit en fait, quelle est mon attitude, est-ce que je l'agresse ? Est-ce que je provoque ? Est-ce que je réclame ? Est-ce que je revendique ? (quoi ?) Est-ce que je regrette ? Est-ce que je négocie ? Est-ce que je séduis ? etc. Qu'est-ce que je suis en train de faire en agissant de la sorte ? Et laisser se poursuivre en ressentant le corps. Pas seulement le corps physique mais le corps mémoire, le corps intentionnel. Quelle est mon intention au-delà ou en-deça de mes actes ?

En fait, je n'ai pas d'autre moyen que de répéter (mon corps répète) pour connaître. Je ne fais que répéter les situations pour mieux les connaître, pour qu'elles puissent s'exprimer et être reconnues. L'inconscient cherche à s'exprimer ; la souffrance1 cherche à être reconnue car la douleur qui en était à l'origine est passée inaperçue ou n'a pas été reconnue comme telle par ceux qui auraient pu la reconnaître (les parents pour simplifier). C'est pourquoi, en observant ma manière d'agir, je me donne une chance de connaître les désirs sous-jacents qui m'animent dans les situations du quotidien.

4) Finalement à travers mes actes, qu'est-ce qui demande à être reconnu, quelle souffrance, quelle douleur ? Mon attitude est l'expression de quelle lutte ? Pour obtenir quoi ?

5) Si je connais précisément et profondément ce qui réclame en moi, alors je peux me l'accorder sur le champ. Voilà le miracle !

Je peux me donner ce que je cherche à recevoir

Si tout mon être réclame de la douceur, une fois que j’ai reconnu qu’il s’agissait de cela, plutôt que de continuer à réclamer à l’autre cette douceur que je n’ai pas reçue, plutôt que d’attendre qu’elle vienne de l’extérieur, je peux m’accorder cette douceur et cesser immédiatement d’être dur(e) avec moi-même.

Ce qui demande à être reconnu, c'est toujours au fond, tout au fond : « j'ai failli y perdre la vie, tu m'as mis(e) en danger. Reconnais-le ! » Voilà la demande.

Alors, je peux la reconnaître moi-même sans plus attendre : « Oui, j'ai failli y laisser la peau. Et je n'ai rien pu faire pour empêcher cela. Ainsi je peux : Premièrement cesser d'attendre que quelqu'un reconnaisse ma douleur. - Oui, c'est vrai, j'ai eu mal, j'ai failli être très mal, je le sais, je le reconnais, c'était ça - Et deuxièmement cesser de lutter pour que ça n'arrive pas. (Puisque j'ai reconnu que c'était arrivé.)

Reconnaître ses peurs afin de s'en libérer

Habituellement, je fais de la prévention pour me guérir. Comme je me sens en danger, insécure, je provoque le monde pour pouvoir me mettre à l'abri et me rassurer, échapper encore une fois au danger, au séisme. Me faire croire que je peux me sauver de ce tsunami ; pendant que le mental me dira : "tu vois, en m'écoutant, tu es à l'abri, regarde comme en m'écoutant tu parviens à te sauver. La prochaine fois, écoute-moi encore ! Tu sais ce qui t'arrive quand tu ne m'écoutes pas, quand tu n'écoutes pas ta peur". Ainsi je maintiens la vision d'un monde hostile contre lequel je dois continuer à me défendre. Et voilà la dépendance installée.

Femme combattantÊtre libre, ce n'est pas faire ce que l'on veut, c'est être libre de ses peurs. En me posant cette question de ce que je fais vraiment, je verrai sans doute que j'essaie par un moyen ou un autre d'échapper à une peur. En cessant de lui échapper, en la ressentant, en la reconnaissant, en la vivant, elle tombe d'elle-même. La peur me dicte de ne pas vivre en cet endroit de moi-même où j'ai peur ; le réflexe de la peur est d'échapper aux sensations que procure une situation, de les mettre à distance. Si je cesse de mettre à distance les sensations qui sont pourtant là, il n'y a plus de peur.

Quitter la position de reproche

Pour prendre un exemple, il se peut que votre père ou votre mère vous ait donné une fessée « mémorable » quand vous aviez cinq ans. Mémorable pour vous car il se peut très bien que vos parents ne s'en souviennent pas. Alors effectivement, c'est difficile à faire reconnaître... Mais ce qui est en jeu n'est probablement pas de cet ordre ; c'est à la fois plus structuré, plus invisible, plus précoce, senti, deviné mais hors de la conscience de vos parents ou de leur mémoire et de la vôtre.

Et vous ne pouvez le connaître qu'en le vivant et en regardant ce que vous êtes en train de faire en faisant ce que vous faites. Souvent il y aura le reproche : « tu m'as empêché de vivre ma vie, tu ne m'as pas donné l'amour dont j'avais besoin etc. » Mais le plus souvent la question véritable à se poser est : comment me suis-je empêché de vivre ma vie ? Comment ai-je refusé d'être aimé(e) ?

Et c'est une source de malentendus. Les enfants reprochent à leurs parents de n'avoir pas assez reçu, d'avoir été empêchés et les parents ne voient pas de quoi il s'agit et ne comprennent pas cette « ingratitude ». « Tu ne vois pas tout ce que nous avons fait pour toi ? Comment peux-tu être aussi ingrat(e) ? » C'est voué à l'échec.

Car ce qui n'a pas été reconnu, c'est une histoire très singulière que personne ne connaît vraiment car elle n'a été vécue que par celui ou celle qui l'a vécue – dans une conscience beaucoup plus large qu'elle ne l'est maintenant. Autrement dit, c'est une mémoire oubliée, bien que le corps s'en souvienne et cherche à la remettre en scène.

Vous êtes la seule à pouvoir vivre votre vie. N'attendez plus !

Alors, il ne faut pas que j'attende que mes parents sachent pour moi. Ils ne savent rien, même si bien-sûr ils ont partagé quelques indices. Il ne faut pas non plus que j'attende d'eux une autorisation, ils sont incapables de la donner, ce n'est pas de leur ressort.

Vivre libre Antonio PonteVivre, sentir, déployer les ailes de votre conscience, rejoindre la conscience, c'est de votre unique ressort. Mais c'est aussi tout un deuil, le deuil de votre dépendance, le deuil du temps où votre vie dépendait de l'autre, où vous aviez toute liberté pour reprocher à ceux dont vous dépendiez.

À chaque fois, c'est la rencontre avec la mort, le manque, la peur, mais le reproche essentiel n'est pas tant d'avoir eu peur, c'est d'avoir cru être obligé, du fait de cette peur, de renoncer à soi, de tomber dans l'oubli de soi. L'oubli de cette étendue de soi. Je reproche une vie gâchée alors que c'est moi qui désire la maintenir ainsi.

De plus, qu'est-ce que je fais quand je souffre ? Je m'intéresse à ma souffrance. Tellement belle, tellement admirable, tellement grande, que je ne peux m'en détacher !

Néanmoins, si je m'y intéresse, c'est par amour2. Cela non plus n'est pas vu. Il suffirait que je décolle le nez du guidon. Je souffre non pas parce que j'aime ça, par masochisme, mais par désir de connaître. Pas seulement par attachement infantile à « ce qui n'aurait pas dû arriver » mais par désir d'élucidation -recherche de sens encore infantile- et plus encore par désir de connaître cette vie et tout ce qu'elle comporte, toutes ses facettes. En un mot, par amour. Si je m'aperçois que c'est par amour que je souffre, par désir de connaître la vie et tout ce qu'elle m'apporte alors je peux me pardonner de souffrir et cesser sur le champ.

 

PS. Bien-entendu, il n'y a pas de méthode miracle, mais celle-ci peut être utile. Essayez ! Vous pouvez même l'étendre à vos projets, à vos habitudes... Qu'est-ce que je fais quand je fais ce que je fais de ma vie en ce moment ? Quelle est mon intention, ma quête, ma demande secrète ?

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0. Bien souvent, sous la surface des apparences, vous vous surprendrez en train de vous plaindre, de reprocher. De vous plaindre au fond de la vie, "qui ne devrait pas être comme ça", de reprocher (au fond aussi) à la vie de ne pas vous donner assez, ou ce que vous attendiez.

1. La souffrance est ici la perpétuation d'une douleur passée. C'est ce qui les distingue : la douleur vient de l'extérieur, la souffrance de l'intérieur, c'est ce que je m'impose.

2. « Aimer, c’est s’intéresser ». Olivier Humbert.

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